Konrad Zuse naquit à Berlin le 22 juin 1910. Son père était employé à la poste. Quant à ses ancêtres, ils étaient vraisemblablement des Huguenots qui avaient émigré de France sous le nom de Suze.
Zuse fit des études d’ingénieur civil à l’Université Technique de Berlin-Charlottenburg. Il y apprit comment réaliser des calculs statistiques répétitifs et se mit à rêver d’automatiser ces calculs. Dès 1933, il commença à concevoir un ‘calculateur universel’ (c’est-à-dire une machine à calculer programmable). En 1936, ayant fini ses études, il créa seul un ‘atelier d’inventeur’ dans le salon de l’appartement de ses parents à Berlin et, avec la maigre aide financière de ses parents et de quelques amis, se consacra entièrement à la fabrication des calculateurs de ses rêves.
Les caractéristiques fondamentales de toutes les machines à calculer programmables réalisées par K. Zuse avant 1945 sont au nombre de trois.
Elles présentent tout d’abord une séparation des fonctions de mémoire et de calcul: elles sont les premiers calculateurs opérationnels de l’histoire à présenter cette particularité.
Cette remarque s’applique aussi à une deuxième caractéristique des calculateurs construits par Zuse avant la fin de la deuxième guerre mondiale (exception faite de la ‘Z2’): le recours à l’arithmétique en ‘virgule flottante’. (Le but poursuivi par cette technique qui considère séparément la mantisse et l’exposant d’un nombre est de permettre la précision dans les calculs avec des nombres très petits ou très grands.)
La troisième singularité des machines à calculer de Zuse, est l’utilisation du système binaire (inspiré de Leibnitz) pour la représentation des données (à la fois dans la mémoire et dans le processeur) et aussi celle des séquences d’instructions, autrement dit celle du programme. Il faut noter que ce dernier était mémorisé par Zuse uniquement en perforant un support de réemploi: une pellicule cinématographique. Zuse employa aussi le système binaire pour la réalisation des opérations arithmétiques, ce qui lui permit de faciliter la multiplication. Par ailleurs, le recours au binaire offrit à Zuse la possibilité de programmer non seulement des opérations arithmétiques mais aussi des opérations logiques (par exemple pour le jeu d’échec).
Le premier calculateur universel de Zuse, appelé actuellement ‘Z1’, était entièrement mécanique. Il fut conçu à partir de 1935 et achevé en 1938: il est donc
le premier calculateur binaire au monde mais il manquait de fiabilité.
En 1939, Zuse fut enrôlé dans l’infanterie pour six mois alors que la machine suivante, la ‘Z2’ était presque achevée. Elle avait une mémoire mécanique et
un processeur électromécanique (basé sur des relais téléphoniques de seconde main). Destinée à tester l’utilisation des relais, elle était limitée (travaillant en virgule fixe). Il faut souligner ici, d’une part, la non compréhension explicite des autorités militaires de l’aide potentielle que la Z2 aurait pu apporter à la construction d’avions et, d’autre part, le refus de ces mêmes autorités de la proposition faite en 1939 par Zuse de conception d’un appareil à encrypter. A l’évidence Zuse ne fut pas un prophète dans son pays! Mais la ‘Z2’ permit néanmoins à Zuse de faire une démonstration en 1940 qui suscita l’intérêt de la DVL (Deutsche Versuchsanstalt für Luftfahrt - Laboratoire d'essais allemand pour l'aviation): Zuse obtint alors signature d’un contrat grâce auquel la ‘Z3’, déjà en construction, allait être partiellement financée par la DVL.
Cette troisième machine, réalisée avec une mémoire et un processeur électromécaniques (relais), fut opérationnelle dès 1941: ceci en fait la première réalisation mondiale d’un calculateur universel fonctionnant correctement. Mais ce fait particulièrement glorieux est resté longtemps inconnu. La ‘Z3’ ainsi que les deux premières machines de Zuse seront par ailleurs détruites lors de bombardements à la fin de la guerre (mais de précieuses répliques de la ‘Z1’ et de la ‘Z3’ ont été faites par K. Zuse lui-même respectivement en 1986 - 1989 et en 1960-61).
Le quatrième calculateur, ‘Z4’, fut projeté dès 1941 et sa construction débuta en 1942. Zuse voyait en lui un protoptype qu’il avait l’intention de faire construire par milliers, à destination de bureaux d’ingénieurs et d’instituts scientifiques. Il comportait une mémoire mécanique et un processeur électromécanique. Par une nuit de 1945, il fut transporté de Berlin à Göttingen, dans un camion militaire (suite à un heureux quiproquo lié à son appellation d’alors). Finalement, il aboutit, avec la famille de K. Zuse, dans le village alpin de Hinterstein. En 1945-46, face à l’impossibilité de restaurer la machine ‘Z4’ endommagée, Zuse entreprit d’achever son travail théorique sur le langage qu’il avait appelé ‘Plankalkül’ (ce qui signifie littéralement (dans le vocabulaire actuel) ‘calcul de programmes’). Il est important de noter qu’il s’agit là d’un langage (de programmation) ‘de haut niveau’, ce qui implique qu’il est utilisable sans connaissance des caractéristiques matérielles du calculateur employé et qu’il est proche, en l’occurrence, du langage du mathématicien. Il fut utilisé par Zuse pour formuler des programmes non triviaux de type non numérique (ex. jeu d’échec). Le ‘Plankalkül’ s’est révélé être le premier langage de haut niveau de l’histoire de la programmation. Mais ayant été conçu avant la mise en œuvre des ordinateurs [Le recours aux ordinateurs fonde l'informatique] (c’est-à-dire de calculateurs universels dont le programme ne reste pas extérieur mais est introduit en mémoire centrale [stored program computer]) et, a fortiori, en dehors de la prise en compte du concept actuel de compilation (pour passer d’un langage de haut niveau en un langage de niveau inférieur), il fut l’objet de controverses et ne fut reconnu à sa juste valeur par la communauté des informaticiens que relativement récemment.
Ainsi donc, après avoir été d’abord ignoré puis longuement méconnu, K. Zuse fut finalement reconnut, de son vivant – il est mort en décembre 1995 –, par la communauté scientifique comme pionnier incontournable de la (pré)histoire de l’informatique. Il apporta une contribution majeure non seulement au niveau matériel mais aussi au niveau logiciel. Les caractéristiques techniques de ses calculateurs (binaire, arithmétique en virgule flottante, séparation mémoire/processeur) se sont révélées être des choix d’avenir. Son langage Plankalkül est très en avance sur son temps.
Marie d’Udekem-Gevers
Faculté d’informatique Université de Namur
marie.gevers@unamur.be
Administrateur de Nam-Ip
Pour en savoir plus:
● Zuse Konrad 1993, The computer – My Life, Springer-Verlag
● Zuse Horst, The Life and Work of Konrad Zuse
http://web.archive.org/web/20080601210541/http://www.epemag.com/zuse
● d’Udekem-Gevers Marie exposé du 26 novembre 2014, au Collège Belgique à Namur, intitulé : ‘L'Allemagne et les calculateurs des années 1940’. Voir
http://www.academieroyale.be/cgi?lg=fr&pag=919&tab=111&rec=1505&frm=0
● Kurt Pauli Stiftung / Über Konrad Zuse