1) Rappel des origines
Les origines de la Compagnie des Machines Bull ne se trouvent pas en France.
C’est en janvier 1921 que l’ingénieur norvégien Frederik Rosing Bull présentait au conseil d’administration de la société d’assurance qui l’employait, la Storebrand, une machine à statistique à cartes perforées. Cette machine était moins chère, plus élaborée mais un peu plus lente que celle d’Hollerith. Cette dernière était commercialisée depuis 1890 et dominait le marché, avec un seul concurrent apparu entre temps: Powers.
La réalisation de la machine de Bull fut confiée aux ateliers de son compatriote Kr Ormestad A.s.
F. R. Bull, avec leur collaboration, accumulera une série de perfectionnements. Il déposera une série de brevets, F. R. Bull créa sa propre société dès 1922 et signa un peu plus tard un arrangement avec les frères Reidar et Andreas Knutsen (ingénieurs norvégiens comme lui) pour fabriquer et vendre ses machines. Reidar Knutsen dirigeait en effet une petite société de mécanique, la A.S. OKA, société qui reprit à son compte la réalisation des machines conçues par Bull, et déjà améliorées par Andreas Knutsen,
Hélas, F.R. Bull se savait, dès 1924, atteint d’un cancer. Il désigna son ami et collègue Knutsen comme son successeur et décéda en juin 1925. Et voilà que quelques mois plus tard, sa femme mourut aussi, laissant en héritage la cinquantaine de brevets que Bull avait déposés dans une dizaine de pays.
(la photo: une des premières machine de Bull, conservée par FEB Paris. L’habillage en cuivre a été enlevé pour montrer la mécanique)
2) Emile Genon
Deux hommes d’affaires vont alors jouer un rôle fondamental pour transformer la société norvégienne en ce qui deviendra la Compagnie des Machines Bull.
Le Dr. Emile Marchand était un Suisse qui dirigeait la Compagnie d’assurance Rentenanstalt,
Il avait acheté des machines Bull en 1926 et en était devenu un protagoniste enthousiaste, au point d’essayer d’intéresser une société Suisse à reprendre à son compte le travail effectué par la norvégienne OKA de Reidar Knutsen. Il estimait à raison que l’industrie de fine mécanique suisse était bien placée pour ce faire.
Voilà qu’en 1927 E. Marchand reçut en visite Emile Genon, un homme d’affaire belge qui représentait des machines comptables américaines. Emile Genon pressentit immédiatement le futur qui s’ouvrait à cette nouvelle industrie. Il réunit dare-dare les fonds nécessaire et s’en alla racheter fin 1927 l’entièreté des brevets appartenant à la succession de F.R. Bull!
Il créa alors en Suisse la société Bull AG, laquelle s’associa avec le constructeur EGLI déjà actif dans les machines à calculer. Ce fut EGLI-Bull. C’est donc à ce moment qu’apparaissait la première d’une série de sociétés qui toutes garderont dans leur dénomination le nom du grand ingénieur Bull. Et ce jusqu’en 2015.
Knut Andreas Knutsen accepta de continuer à travailler pour «EGLI-Bull», mais resta en Norvège. Son rôle fut essentiel dans la suite: invention de la trieuse horizontale et du fameux dispositif d’impression
[1]. Durant cette période assez courte, la fabrication resta essentiellement en Norvège.
3) Les frères Vindevoghel
Emile Genon se rendit assez vite compte que la Suisse était un pays dont le marché était trop petit et les coûts à l’exportation trop élevés. Or la concurrence IBM et POWERS se faisait durement sentir, même en Europe, où les Américains avaient déposé des séries de brevets.
Où transférer la nouvelle société?
Trois éléments guidèrent le choix:
a) L’Allemagne, grand pays industriel, n’attirait pas Genon, ancien combattant de 1914-18.
b) La France avait une loi qui invalidait les brevets déposés par des firmes qui ne fabriquaient pas en France. Ce qui était le cas d’ IBM.
c) K. A. Knutsen n’acceptait que Paris comme lieu «d’exil»!
Emile Genon se décida rapidement. Il connaissait à Paris un atelier de mécanique de précision dirigé par les frères Vindevoghel, des Belges installés à Paris. Où cela? Au 94 avenue Gambetta, où la société, après de multiples agrandissements, garda son siège jusque dans les années 1980! C’est là qu’Emile Genon décida de faire fabriquer les machines de la désormais société française H. W. EGLI-Bull, fondée en février 1931.
Le savoir-faire des frères Vindevoghel fit le reste, en sorte que la fabrication fut rapidement réalisée en France. Les nouvelles inventions de K. A. Knutzen et quantités d’améliorations techniques se réalisèrent aussi dans les ateliers de Gambetta.
La «saga» de Bull ne faisait que commencer! Voilà qu’Emile Genon se laissa tenter par les sirènes de l’américaine Remington, qui lui offraient un beau montant pour ses actions dans EGLI-Bull.
Du coup, Emile Genon prendra figure de traître et sera à peine cité dans l’histoire officielle de Bull.
Fin 1931, sous l’action volontariste de Georges Vieillard, les familles Callies et Aussedat reprirent in-extremis la majorité des actions et s’investiront à fond dans ce qui deviendra la société française des Machines Bull.
4) Les frères Ziguelde
Un saut dans l’histoire: Dans les années 1935, les trois frères Ziguelde, originaires des cantons de l’Est de la Belgique, travaillaient à la Compagnie des Machines Bull.
Ils furent à la base de deux perfectionnement notables des calculatrices et tabulatrices:
a) En 1936, rattrapant le retard sur IBM, ils inventèrent leur propre système de soustraction par complément à 9
[1], dont les tabulatrices ainsi équipées porteront le nom: BS120 = Bull Soustractive 120 positions de compteur.
b) En 1938, cette fois-ci en avance sur IBM, ils réalisèrent un dispositif de multiplication qui n’était plus basé sur une addition répétitive, comme dans les calculatrices de bureau. Il s’agissait d’une ingénieuse application de la table de Pythagore, table qui ne mobilisait qu’un nombre réduit de relais électromécaniques.
[1].
L’un des frères Ziguelde travailla à Bull Belgique après la guerre.
Gilbert Natan
Pour l’explication détaillée des dispositifs d’impression, de soustraction et de multiplication, voir le site
www.histoireinform.com.
● Références
Bull, la saga d’une informatique franco-européenne, par Patrick de Gmeline, 2007
Histoire du Groupe Bull par la FEB, déc. 1998,
tous deux hors commerce.
Des informations sur les Ziguelde viennent de André Hanchart.