Deux grands sujets sont abordés: celui de l'éducation comme évoqué dans le titre, mais, également, à l'approche de la Conférence de Paris sur le Climat, celui des politiques climatologiques. Le directeur de la revue Cités, Yves Charles Zarka y ajoute un éditorial sous le titre Pour une Déclaration universelle des droits de l'humanité (pp.3-8) où il défend la notion d'Inappropriabilité de la Terre selon le titre du livre qu'il a publié en 2013 chez Armand Colin.
Cette vision universaliste est d'ailleurs en écho direct avec le thème de l'éducation qui, à l'ère du numérique, devient planétaire comme le montre l'intervention de Nicolas Negroponte, Apprendre à apprendre dans un monde entièrement connecté (pp. 119-131). Cette intervention met en évidence et rappelle le projet de Negroponte dont on ne parle pas assez et dont on pouvait se demander s'il était toujours actif: la distribution de petits ordinateurs à très bas prix pour accélérer l'alphabétisation et l'apprentissage auprès des masses dans les pays émergeants. Depuis 2003, date de l'annonce du projet, plus de 3 millions d'ordinateurs portables à 125 US$ pièce, - ordinateurs qui ne faisaient appels ni à des ressources de Microsoft, ni à des circuits d'Intel - , furent distribués dans 40 pays et 25 langues différentes pour des enfants âgés de 5 à 12 ans. Pour Negroponte, professeur au MIT (Boston), l'éradication mondiale de la misère passe prioritairement par l'éducation et l'enseignement.
Mais quelle éducation? Quel enseignement? Le numérique ne commence-t-il pas à montrer son caractère «totalitaire » et, sous cet angle, inhumain et non critique? C'est à ces questions que Bernard Stiegler tente de répondre : «C'est 'totalitaire', mais dans un sens très nouveau – et les réseaux sociaux pourraient être tout autres. … Tout se passe comme si le fonctionnement de cette société planétaire était délégué à quelques entreprises lui interdisant d'accéder à son propre fonctionnement. Cela n'avait jamais existé auparavant – même dans les églises les plus répressives ! » (pp. 18-19) . « Tout, absolument tout , est en train de devenir numérique. On assiste à une mutation totale du savoir, qui concerne aussi les savoir-faire et les savoir-vivre. C'est la vie quotidienne qui s'en trouve d'abord bouleversée, dans toutes les dimensions de l'existence. Or tout cela est instauré par le marché sans qu'il y ait l'ombre d'un processus critique susceptible d'apporter au moins des nuances et des inflexions. » (p. 19).
Ce «marché» est évidemment soutenu et structuré sur la finance et donc sur les «actionnaires». Mais «pour un actionnaire, une fonction critique est un empêchement de gagner de l'argent. Et on ne saurait déléguer le pilotage de l'énorme puissance qui se développe à travers le numérique à des actionnaires qui refusent la fonction critique» (p. 22). Stiegler propose, en conséquence, d'instituer des «Études numériques» qui proposeraient une vraie approche critique universitaire sur tous les aspects de la mise en œuvre généralisée du numérique. En effet, «on nous dit que les jeunes gens savent faire toutes sortes de choses que nous ne savons pas faire. Il faudrait préciser ce qu'on appelle ici «savoir». en vérité, ce qu'ils ont , ce sont des compétences, sur lesquelles ils ne possèdent généralement aucun savoir. Car un savoir, au sens où l'on transmet un savoir à l'université, ce n'est pas du tout cela. C'est tout d'abord avoir la capacité de resituer le savoir que l'on a dans une histoire de ce savoir qui le constitue précisément comme savoir. Les «natifs du numérique» sont des très bons récepteurs d'une ergonomie des interfaces homme/machine et d'un marketing intelligent comme l'est en particulier celui d'Apple, mais ils n'en retirent en général aucun savoir à proprement parler, sauf, bien sûr s'ils se mettent à étudier leurs pratiques, du point de vue de l'informatique, de la philosophie, des mathématiques, de l'ergonomie, etc...» (pp. 27-28).
Les autres contributions développent d'autres aspects, défendant notamment les MOOC (Massive Open Online Course) qui semblent ouvrir la voie à un vrai enseignement supérieur planétaire et dans lequel l'enseignement magistral s'estompe en faveur d'un enseignement collaboratif.
R.-Ferdinand Poswick