Des masques à mâchoire mobile du dieu Anubis dans l'Égypte des pharaons à l'infosphère- noosphère de Teilhard de Chardin ou à la singularité qui transfert l'intelligence humaine sur d'autres supports que le corps (même «augmenté») que nous connaissons aujourd'hui, l'auteur parcourt toute l'histoire de cette quête humaine pour créer des êtres autres que lui (mais lui ressemblant éventuellement, en mieux ou en pire) et autrement que par le seul engendrement naturel.
Le calcul et l'indication du temps vont faire naître tous les systèmes de plus en plus sophistiqués d'horloges jusqu'à celle de Wilhelm Schikard qui préfigure les machines à calculer, Pascal, Leibniz, Babbage… et l'informatique qui suivra avec l'utilisation de l'électricité pour traiter de l'information.
Ces «automates» simulant des facultés de l'intelligence humaine seront développés parallèlement à celui d'automates de tous genres dont on trouve déjà la trace dans le Gargantua de Rabelais en 1532: «il bâtissait plusieurs petits engins automates, c'est-à-dire, se mouvant eux-mêmes». L'automobile en est un autre aboutissement.
Mais ce désir de mécanisation comporte également une vision anthropologique déjà développée par Julian de La Mettrie en 1747 dans son traité L'Homme-machine qui lui vaudra l'exil: «Le corps humain est une horloge, mais immense et construite avec tant d'artifice et d'habileté que si la roue qui sert à marquer les secondes vient à s'arrêter, celle des minutes tourne et va toujours son train!». La construction d'automates toujours plus sophistiqués (le Joueur de flûte ou le Canard artificiel qui digère de Jacques Vaucanson, 1737, 1741) préfigure celle des robots. Tandis que l'automatisation de procédés industriels comme celui des «programmes» sur bandes perforées pour les créations sur métiers à tisser diffusés par Joseph-Marie Jacquard à partir de 1804, annoncent tous les robots industriels de notre époque.
Au-delà de ces préfigurations, la naissance de l'intelligence artificielle que promet l'article programmatique d'Alan Turing (1950), se développera à mesure de l'évolution de l'informatique suscitant la notion plus large de «cybernétique» qui se fonde sur les analogies entre les organismes vivants et les machines (Norbert Wiener).
Ce courant est soutenu par l'imaginaire et la science-fiction, depuis le Golem et Frankenstein jusqu'aux Robots universels de Rossum (1921), la pièce de Karel Capek d'où vient le terme de robot (robota signifiant le travail forcé en tchèque), le film Metropolis (1927) de Fritz Lang ou HAL, l'ordinateur maître, dans 2001: l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrik (1967) ou encore le Cycle des Robots de Isaac Azimov (1940-1985). Ces fictions préparent les rêves d'androïdes des cyberpunks dont l’œuvre la plus aboutie pourrait être le cycle des films The Matrix des frères Wachowsky (1998). Le règne des «humanoïdes» est proche comme tentera de le suggérer la série télévisée Real Humans (2013-2014).
Parallèlement se développe, sur base d'un Séminaire tenu en 1956 au MIT de Boston par Marvin Minsky, Allen Newell et Herbert Simon, des recherches en « intelligence artificielle » et la mise en œuvre de «systèmes experts». Un exemple en est le programme Eliza de Joseph Weizenbaum (1966), et, simultanément, la création de robots (bras industriels, tortues pédagogiques, outils d'exploration extra-terrestre). L'interactivité et l'interaction entre individus humains, entre robots ou entre les deux types de structures se développe, notamment à travers les jeux vidéos interactif et de plus en plus à joueurs multiples (MUD, MMOG).
La génération suivante explore la vie artificielle, les écosystèmes (simulation d'ADN), l'évolution artificielle (chromosomes numériques, programmation génétique, machines auto-évolutives), et, en parallèle, surtout à partir du Japon, les «animats», robots insectoïdes et robots animaliers voire à forme humaine pour l'accompagnement des personnes humaines, comme les tamagotchi qui peuvent venir en aide aux personnes âgées, mais que l'on trouve également comme partenaires sexuels!
Tous ces développements sont porteurs d'une nouvelle vague de science fiction qui imagine la vie au-delà de l'humanité que nous connaissons aujourd'hui: soit que l'essentiel de l'humain est transféré dans un support minéral (Jean-Michel Truong, Le successeur de Pierre, 1999), soit qu'une humanité de 100 milliards d'humains a émigré dans des centaines de planètes, mais sous la coupe d'une intelligence collective centrale qui possède sa résidence propre (Dan Simmons, Le Cycle d'Hyperion, 1989-1997). Une vision qui se rapproche de celle déjà envisagée par Teilhard de Chardin (1881-1955) quand il décrit sa «noosphère» ou de celle de Peter Russel (1983) quand il pense qu'un cerveau global peut émerger de la mise en réseau planétaire des cerveaux humains.
Tous ces courants ont tendance à converger vers un processus de mutation facilité par la progression foudroyante des NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Information Technologies, Cognitive Sciences) ou des travaux sur les BANG (Bits, Atoms, Neurons, Genes). Ces travaux permettent aux promoteurs de la Singularity University (Marvin Minsky, Raymond Kurzweil) de penser que va s'auto-construire un au-delà de l'humanité qui échappera à celle-ci tout en ayant incorporé le meilleur de son intelligence.
Deux garde-fous à cette course vers l'avant qui fait dire à l'auteur que les humains sont «devenus capables de créer plutôt que de tuer»: d'abord une appréciation scientifique de l'auteur à propos des vues de la Singularity University: «Le problème dans le raisonnement de Raymond Kurzweil réside dans le fait que l'intelligence ne peut être réduite à une simple capacité de calcul» (p. 399); ensuite le rappel d'un propos de Rabelais: «science sans conscience n'est que ruine de l'âme» (p. 117).
R.-Ferdinand Poswick