Le 15 février 1991, j'ai été amené à présenter le projet d'un Centre d'Interprétation qui aurait pu se créer à Maredsous. Le texte de cette communication sera peut-être repris dans le volume en cours de création sur l'histoire des travaux réalisés dans ce domaine par l'équipe informatique de Maredsous entre 1969 et 2014. Mais, il m'a semblé intéressant, dans le cadre de la création du Computer Museum NAM-IP et de sa prochaine inauguration, d'en extraire quelques éléments qui peuvent éclairer la vision de l'un de ses fondateurs.
“L'informatique est née en 1945 (il n'y a pas encore 50 ans!). Vingt ans de présence à son histoire (1971-1991), si près de ses débuts, à l'échelle des siècles, est un atout d'expérience qu'un assez petit nombre de personnes possèdent, surtout eu égard à l'explosion que constitue ce domaine dans sa courte durée historique. L'Église a perdu son unité (occidentale) en perdant la bataille de l'imprimerie. Et, depuis lors, jusqu'à présent, elle a perdu les batailles des nouveaux médias (qui, tous, à peu près, sont liés directement ou indirectement, à la maîtrise humaine sur l'électricité, les ondes, la lumière) : cinéma, radio, télégraphe, télévision, téléphone – l'Église catholique commence tout juste à être présente à ces médias ; certains seront bientôt centenaires !…
Il se fait que l'informatique et l'ordinateur sont devenus le cœur et le centre technologique de tous les médias, et donc de tout type de communication sociale comme j'ai souvent essayé de l'expliquer. En ouvrant à tous les publics un espace-carrefour où les défis de la nouvelle culture, basée sur l'informatique, seraient affrontés, expliqués, réfléchis à partir des valeurs de la tradition chrétienne,… cette prise de conscience serait répercutée dans un réseau de relations, d'événements, de créations pédagogiques, serait, en bref, “inculturée” à notre humanité… !
Ce faisant, au lieu de construire un espace physique, une “basilique”, nous édifierions une sorte de “cathédrale électronique” : un lieu où les nouvelles technologies, au lieu de servir au profit (avoir) ou à la domination (pouvoir), serviraient à bâtir quelque chose pour la gloire de Dieu ! Les pierres des cathédrales et les techniques qui les faisaient grandir vers le ciel étaient les mêmes que celles qui servaient, par ailleurs, à asservir l'homme, à créer des forteresses, des palais, des prisons … mais la cathédrale ouvre ces matériaux et ces logiques à la louange, à la présence de Dieu. …
Il s'agirait d'offrir au public qui y viendrait… et à tout homme de bonne volonté… un espace d'accueil dont l'infrastructure, l'architecture et le matériau seraient constitués par les techniques liées à l'électronique et à l'informatique. Une sorte de “cathédrale électronique” : un espace qui donne à penser par la beauté de son agencement, l'harmonie de sa conception, le caractère symbolique et significatif des éléments qui le composent.
Cet espace serait un parvis culturel où les personnes seraient amenées à confronter leur pratique et leurs réactions par rapport à l'environnement tout électronique de la nouvelle culture, avec d'autres valeurs que cette culture technicienne pourrait faire oublier ou pourrait oblitérer : valeurs humanistes, personnelles, religieuses, chrétiennes.
Pour cela il faut user du vieux principe aristotélicien : du connu vers le moins connu. À partir de l'informatique, des ordinateurs, des vidéos, des gadgets électroniques, amener les visiteurs…. vers une découverte de la connaissance vraie, des mécanismes cachés de l'informatique, des problèmes psychologiques ou sociaux qu'un usage sans conscience peuvent engendrer. Donner le goût d'un usage qui produirait du beau, qui favoriserait les relations humaines, qui instruirait vraiment, qui éveillerait la curiosité et le désir de connaître. Un tel espace aurait une vocation pédagogique très marquée. … nous pouvons rendre un immense service concret aux personnes et à la société dans laquelle nous sommes par le biais d'un tel espace.
Il réaliserait dans le concret et à une échelle significative ce que nous avons essayé de faire, au plan de la recherche et de la réflexion, dans le cadre des Journées de Réflexion sur l'Informatique de Namur (1982, 1984, 1986, 1990) dont j'ai été le premier inspirateur dès 1980, et puis le fondateur avec le P. Jacques Berleur.
On se trouve devant la nécessité, de plus en plus urgente, au plan humain, de maîtriser socialement, psychiquement, culturellement, les outils de connaissance et de puissance monstrueux dont s'est dotée l'humanité et qui, s'ils sont laissés aux mécanismes de leur propre développement, pourraient réduire cette humanité à la vie d'une termitière ou d'une ruche. Organisation sociale parfaite, mais sans conscience !
La position “écologique-bêbête” qui consisterait à dire : toute cette machinerie et cette technique galopante, c'est le diable, c'est l'apocalypse, fuyons-les ! n'est évidemment pas chrétienne, ni donc, fondamentalement humaine. Nous devons assumer et intégrer la totalité de notre humanité, telle qu'elle se développe aujourd'hui pour l'amener à l'obéissance de l'esprit.
Il s'agirait de construire un espace des mémoires électroniques : accès à des terminaux, des vidéos, des banques de données, des outils pédagogiques en électronique et en informatique, de l'image et du son électroniques, de la T.V., de la radio, de la télécommunication, une salle de classe du 21ème siècles, un “infotope”, etc.
Mais pour que l'environnement technologique soit perçu partout et immédiatement par celui qui viendrait sur ce site, il faudrait que l'infrastructure d'accueil tout entière soit gérée électroniquement : bornes vidéo, billetterie automatique, information par écran sur les différentes activités possibles, “festivals électroniques de musique”, de “ sons et lumières” à échéance régulière, choix de vidéos sur des problèmes cruciaux pour l'homme et la société, parking contrôlé électroniquement, payements électroniques, etc.
Étouffant, oppressant ? Oui et non. Oui, parce que c'est ce qui nous attend dans la société telle qu'elle se développe. Non, parce que c'est au devant de cette oppression que nous voulons aller pour aider nous-mêmes et les autres à y vivre la “liberté” pour laquelle nous avons été créés ! Utopie ? Sommes-nous capables de faire cela ? Est-ce à nous de le faire ? Vous savez que l'utopie n'est plus du tout considérée, aujourd'hui, comme une rêverie sans intérêt pour le réel de la vie. On a pris conscience qu'elle était un des signes majeurs et une des manifestations de la liberté créatrice qui caractérise l'humain. Sans utopie, nous nous fossilisons. Sommes-nous capables de réaliser, à une échelle qui devra rester modeste, quelque chose de vraiment utile pour des milliers de visiteurs potentiels ?
Les circonstances et les opportunités nous invitent à n'être pas timides et à anticiper, pour en aider d'autres, la culture du 21ie siècle. En conclusion, si ce projet n'a pas abouti, à l'époque (1991), les “racines du numérique” et de sa culture étaient bien présentes il y a 25 ans !
R.-Ferdinand Poswick