À l’opposé des nombreuses sciences développées par le génie humain, les mathématiques sont-elles froides, anonymes, leur rationalité est-elle oppressante surtout quand elles sont utilisées par l’informatique? Les mathématiques sont-elles déshumanisées, opposées au spécifique humain?
Quoique non-mathématicien, comme beaucoup d’ingénieurs je fus un peu matheux sur les bords! Je tente alors ici de répondre à ces questions.
Le simple calcul n’est pas l’apanage de l’homme. L’homme primitif a simplement développé cette capacité. L’homme «moderne» a démontré des concepts encore inconcevables il y a peu de temps.
Mais où le génie humain s’est réellement manifesté, c’est quand il va travailler de façon rigoureuse avec des notions abstraites, des choses qui n’existent pas! Certes, on retrouve cela dans l’art et la philosophie. Mais avec les mathématiques cela devient purement fascinant. Et certains mathématiciens ont laissé des traces dans l’histoire aussi prégnantes que des Michel-Ange, Rembrandt H.v.R., Léonard de Vinci, J.W.Goethe, Saint Exupéry, Karl Marx, Antoni Gaudi, etc.
Pour ceux qui n’en seraient pas convaincus, j’ai repris quelques thèmes. Partagés en deux grands chapitres:
A. Quelques éléments fondateurs
B. Informatique et mathématiques.
A. Quelques éléments fondateurs.
La rigueur des raisonnements géométriques et mathématiques d’Euclide.
Le savant grec Euclide (428-346 av. J.-C.) nous a laissé ses Éléments, treize livres, dont les célèbres tomes I à VI qui traitent de la géométrie plane et les XI à XIII de la géométrie dans l’espace. Savez-vous que les Éléments furent parmi les premiers livres imprimés? À Venise en 1452.
La géométrie euclidienne est construite avec toute la clarté et la rigueur du raisonnement mathématique. Elle est purement théorique, basée sur des éléments qui n’existent pas: le point, sans dimensions, la ligne, et la surface, sans épaisseur, etc. Sa géométrie est basée sur quelques «postulats» ou axiomes indémontrables, par ex.: deux droites parallèles dans un même plan ne se rencontrent jamais. Cette géométrie reste toujours valable au XXe siècle, mais dans un contexte limité à notre propre horizon. Au-delà on parle de géométrie «non euclidienne».
L’invention du Zéro
Le zéro positionnel, pour faciliter les calculs, se retrouve en premier chez les Mayas, trois siècles avant le fameux traité du savant indien Brahmagupta!
Mais chez lui, on trouve le zéro comme nombre! Qui n’a jamais vu zéro pomme? Et pourtant ce savant apprend à jouer avec «rien»! Dans son traité apparait a-a=0! Et ses corollaires a = a + 0 et a * 0 = 0!
Plus fort encore, il se pose la question de ce que donne un nombre divisé par 0? Sa réponse: l’infini! Encore quelque chose qui n’existe pas, mais avec quoi les mathématiques vont fonctionner. Les philosophes grecs refusèrent, eux, la notion du «non-être». Il ne sera donc pas représenté. Et les Romains suivirent. Pauvres comptables romains obligés de mémoriser un tas de signes pour manipuler des grands nombres: MMDLXXIV = 1.000.000 + 500 + 50 + 20 + 4 = 1.000.574. Plus avant dans l’article, on parlera du rôle du zéro en informatique.
Sur le zéro, en savoir plus par exemple sur : http://villemin.gerard.free.fr/Wwwgvmm/Nombre/ZerHisto.htm
L’algèbre, ou la recherche des inconnues masquées
Les origines remontent aux civilisations chinoises, indiennes, égyptiennes et grecques. Mais l’algèbre moderne semble bien devoir être attribuée au savant perse Muhammed ibn Musa al-Khwarizmi (790-850). Avec le «Kitâb al-jabr wa al-muqâbala» (le livre du rajout et de l'équilibre), rédigé entre 813 et 833 il pose les bases des méthodes algébriques de résolution des équations ainsi qu’une synthèse des règles héritées des Grecs et des textes néo-persans.
Mais c’est avec R. Descartes (1596-1650) que naissent l’algèbre moderne et ses représentations symboliques. C’est lui qui propose de désigner «les inconnues» par les dernières lettres de l’alphabet, et peu après lui nait l’incontournable signe «=» dans les équations.
L’algèbre est un moyen très puissant de résoudre des problèmes de logique.
Par exemple, il n’est pas très facile par raisonnement logique de résoudre le problème suivant:
Un camion donné ne peut charger que 3.000 kg.
On doit livrer un maximum de caisses de pommes (40 kg) et de caisses de poires (32 kg), avec la contrainte qu’il faut livrer deux fois plus de pommes que de poires.
Soit donc nos inconnues:
x le nombre de caisses de poires,
y celui de pommes.
On pose deux équations:
32 x + 40 y = 3000
y = 2 x.
On en déduit tout de suite 112 x = 3000, x= 26,78 et y = 53,56
On chargera donc 27 caisses de poires et 53 de pommes.
Total = 2.984 kg
Les 16 kg restants ne permettent pas de faire une répartition 28 - 54.
Les incroyables nombres imaginaires
L’art dit-on, permet au cerveau humain de s’échapper de la réalité. Eh bien, dès 1545, Girolamo Cardan ose s’échapper de la contrainte √ -1 en donnant des solutions d’équations avec opérateur négatif! Mais il faudra attendre la fin du XVIe siècle pour que de célèbres mathématiciens s’emparent du concept. √ -1 sera nommé "i", nombre imaginaire. Mais mis au carré, i devient réel: i² = 1!
C. F. Gauss, célèbre mathématicien allemand (1777-1865) va se délecter du concept et y consacrera plusieurs ouvrages. Il démontrera entre autres que, grâce aux nombres imaginaires, on peut affirmer que tout polynôme de degré n possède n racines, réelles ou imaginaires. Théorème qui attendait depuis 2 siècles d’être résolu. Les nombres imaginaires sont aussi nommés nombres complexes.
Les merveilleux logarithmes
C’est en 1614 que John Napier (1550-1617) publiait les premières tables de logarithmes. C’est une trouvaille extraordinaire: la transposition d’une échelle de mesure à une autre, en suivant une règle mathématique. Le résultat est fulgurant: une multiplication de A par B est transformée en addition du log A par log B. Les tables de logarithmes sont construites une fois pour toutes, avec 5 chiffres significatifs, ce qui va faciliter au départ le travail des astronomes dans leurs calculs algébriques et trigonométriques.
Plus utile encore: une mise en exposant est transformée en multiplication: le logarithme de A exposant n est A*n. Et le résultat? Retour simple dans le système de mesure commun par lecture du résultat en face de la valeur du nombre calculé.
Imaginez le travail que représentait le calcul de 1,273 exposant 18 avant que des calculateurs électroniques puissent s’en charger!
Exemple de solution via des tables des logarithmes:
18*(Log (10) 1,273) = 18*(0,1048284) = 1,88691127
d’où la réponse: Antilogarithme (10)= 77,074598
(1) A = 10 exposant x, ou x est le logarithme recherché, si la «base» est 10.
(2) La valeur de x trouvée dans la table donne «l’antilogarithme» de x, soit A.
Cette invention mathématique donnera naissance à un outil pratique et transportable partout: la règle à calcul. Actuellement, les logarithmes ne servent plus que dans les développements mathématiques et dans l’illustration de graphiques où des courbes à allure exponentielle quitteraient vite le cadre du dessin.
Les fascinantes suites en mathématique
En général, les suites sont constituées de manière que chaque terme réponde à une règle arithmétique ou géométrique.
Mais il en est une un peu à part: la suite de Fibonacci (1170-1250).
La suite de Fibonacci se construit ainsi: chaque terme de la suite, à partir du deuxième, s’obtient en additionnant les deux termes précédents. Les deux premiers termes étant 0 et 1.
Le troisième terme est donc 0+1 = 1, le quatrième terme = 1+1 = 2, le cinquième terme = 1 +2 = 3, le sixième terme = 2 + 3 = 5.
Ainsi de suite.
La suite de Fibonacci se présente donc ainsi : 0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34…
Cette suite possède plusieurs propriétés mathématiques sur lesquelles on ne va pas s’étendre. Ce qui est par contre fabuleux, c’est que les biologistes se sont aperçus que chaque être vivant est organisé suivant des principes mathématiques très précis: la suite de Fibonacci et le nombre d’or!
Le nombre d’or
C’est Euclide d’Alexandrie (vers 3.000 av. J.-C.) qui en donnait la formulation exacte: (1+√5)/2 qui donne le rapport entre deux côtés du rectangle d’or, ou, de là, la construction de la spirale d’or. La spirale qui fascinait Alan Turing est à la base de construction de coquillages, pommes de pins, et autres. On y retrouve à la fois une partie de la suite de Fibonacci et la construction géométrique à partir de rectangles d’or.
Les nombres irrationnels, les trouble-fêtes
Tiens donc! De l’irrationnel en mathématique?
On a qualifié ainsi des nombres résultants d’opérations mathématiques simples, mais qui n’ont pas de valeur finie. Leur développement décimal est infini. Les plus connus: √2, le nombre d’or, cité ci-dessus, la valeur π, le nombre e d’Euler (mathématicien suisse qui en définit la fonction en 1750).
Chose curieuse, ces nombres bien réels sont très utilisés, même indispensables!
Du minuscule à l’infini: l’analyse infinitésimale
Cette variante de l’algèbre s’intéresse à la recherche de grandeurs limitées par des courbes ou des fonctions. C’est à Archimède que l’on doit les premiers développements marquants de cette branche des mathématiques.
L’infiniment petite tranche d’une courbe définie par une fonction y est désignée par δ, la dérivée de la fonction. La somme des infiniment petites tranches limitées par les dérivées, entre deux limites, est désignée par l’intégrale de a à n, ou même de zéro à l’infini. (Comment ne pas penser ici au chef-d’œuvre de la littérature Le Zéro et l’Infini d’Arthur Koestler, paru en 1940 en anglais.
Encore une fois, nous voilà séduits par cette manipulation de notions qui n’existent pas, mais qui aboutissent à des résultats très concrets: l’infiniment petit (la dérivée) et l’infini!
J’aime à citer le grand mathématicien belge, le professeur Charles-Jean de la Vallée Poussin (1866-1962). Il publia entre autres son Cours d’Analyse Infinitésimale en 1906. Cet ouvrage fut, et, est encore, une référence dans l’enseignement de cette science. Ceci compte tenu des multiples mises à jour qu’il y apporta.
Les mathématiciens, des philosophes? En tout cas des visionnaires
Albert Einstein (1879-1995) fut très probablement le plus grand génie mathématique et physicien de génie du XXe siècle.
Dès 1905 il publie les bases de «La relativité restreinte». On peut affirmer que cette révolution de la pensée physico-mathématique va bouleverser le monde bien au-delà des scientifiques purs. La physique newtonienne en prit un coup! Les paramètres temps et espace ne sont plus considérés comme absolus.
Et E=Mc²? Encore une publication de 1905! Elle est déduite du principe de la relativité. Son hypothèse des quanta de lumière devra attendre des années avant d’être prouvée par l’expérience en 1919. Et E=Mc² ouvrira la voie à toute la théorie «des quanta».
Et c’est à l’âge de 37 ans qu’il publie sa théorie de la «relativité générale», ouvrage difficile à aborder par la plupart des mathématiciens de son temps. Ce travail permettra d’avancer dans une toute nouvelle direction en ce qui concerne la gravitation. Il s’attaquera alors, jusqu’à la fin de sa vie, à établir une loi générale régissant tout l’univers, infiniment petit à l’infiniment grand.
Note: Einstein fut aussi un philosophe et il prêcha le pacifisme en Allemagne, dès les années 1920. C’est à tort qu’on l’accuse d’être le père de la bombe atomique. Mais c’est bien lui qui avertit le Président Roosevelt de ce que les nazis travaillaient sur ce projet.
La particule nommée boson de Brout-Englert-Higgs (Nobels 2013) est aussi un cas intéressant de prévision en physique mathématique. Il fut en effet postulé mathématiquement en 1964 par trois chercheurs, mais son existence ne fut prouvée expérimentalement qu’en mars 2012, soit près de 40 ans plus tard!
Les mathématiques découvrent le passé
On sait les travaux de célèbres archéologues découvrant les traces de civilisations antiques, les travaux des anthropologues à la recherche de nos lointains ancêtres, des géologues à la recherche du passé mouvementé de notre planète.
Mais c’est par des travaux mathématiques très poussés que le chanoine belge Georges Lemaître (1894-1966) put s’appuyer sur les travaux d’Einstein en relativité générale pour apporter en 1927 une preuve de l’expansion de notre univers. Il remonta ensuite à l’origine de l’Univers pour démontrer, vers 1930, le phénomène cosmologique qui fut surnommé familièrement le «Big Bang». Ce qui à l’époque de ses publications n’était qu’une «exploration mathématique» a pu être observé, à quelques instants près en ce XXIe siècle, par l’analyse des images fournies par les plus grands télescopes, dont ceux du mont Palomar.
Suite au prochain numéro de NAM-IP/Infos
G. Natan