Relayés par le Courrier International en juillet 2015 des articles du New Statesman (Londres, 18 juin 2015) et de Der Spiegel (Frankfurt, février 2015), tirent la sonnette d'alarme: les vrais pouvoirs décisionnels ne sont plus dans les mains des États-nations; ils sont aux mains de multinationales des domaines des TIC dont les finances sont aujourd'hui supérieures à celles de bien des États!
Or tous ces empires des TIC ont un objectif très clair: encore accroître leurs objectifs commerciaux et financiers en maîtrisant les Big Data, c'est-à-dire en mettant la main sur tous les secteurs, même les plus intimes, de la vie humaine (la vie et la mort) et de la vie sociale (enseignement, soins de santé, bien-être, etc).
La plupart de ces secteurs relevaient jusqu'ici de la «privacy» et des lois sur la «protection de la vie privée» qui tentent depuis les années 1980ss de canaliser les menaces sur la vie privée. Mais les organismes qui doivent mettre en œuvre ces législations sont débordés par la chasse aux malfaiteurs de tous les jours et aucune stratégie générale et citoyenne n'émane plus du «politique» qui utilise lui-même à son profit (parfois pas très transparent, ni désintéressé) toutes les ressources publicitaires des TIC.
S'il faut, en effet, se défendre des intrusions dans la vie privée, c'est la notion même de «vie privée» qui semble remise en question par les dynamiques visionnaires des grands opérateurs des TIC comme Google, Facebook, Twitter ou autres.
En effet, on peut parcourir un cours sur la protection de la vie privée comme celui de Sébastien Gambs (IRISA) (Introduction à la protection de la vie privée, 2 décembre 2014, www.sgambs@irisa.fr ), on reste au niveau stricte de la défense de l'individu dans une société fondée sur le droit et sur les «Droits de l'homme». Ces Droits de l'homme déclarés et signés en 1948 ne prévoyaient évidemment pas les types d'intrusions rendues possibles par les technologies d'information et de communication électroniques et planétisées. Ces «droits» devraient pourtant être respectés dans leur formulation originelle: «Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne à droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.»
Il est clair que l'assemblage des Big Data constitue, en soi, et par rapport aux individus, une violation des Droits de l'homme.
La justification des Barons des TIC est l'objectif d'une amélioration de l'humanité grâce à la compilation et au rapprochement de toutes les données (personnelles ou moins personnelles) qui pourront être collectées et mises en relation logique. Il y aurait là, à leurs yeux un objectif «humanitaire»: ils veulent le bien de l'humanité. Et quel plus grand bien que celui de rendre l'humain éternel, d'aider à «la mort de la mort» et, pour ce faire, de séquencer les ADN d'un maximum d'êtres humains afin de sélectionner les meilleures séquences et créer un réservoir de cellules de remplacement pour parer à toute dégradation cellulaire qui pourrait mener à la mort?
Mais de quel «Droit» un petit groupe de super-techniciens peut-il décider que cet objectif est bien celui du meilleur avenir pour l'humanité?
Le récent livre d'Al Gore (The Future. Six drivers for Global Change, New York, Random House, 2013, 559 pages) et l'encyclique du pape François (Laudato Si' sur la sauvegarde de la Maison commune, Rome 24 mai 2015, 91 pages) donnent d'autres perspectives et voient nettement plus loin qu'une bande de techniciens super-intelligents mais qui n'ont pas un grain de métaphysique ou de poétique dans le crâne; et, une politique inspirée par la seule rationalité est la base des «idéologies» dont on sait depuis Hitler, Staline et Mao qu'elles peuvent détruire l'humain!
Mais comment faire passer ce devoir de réflexion vraiment «humaine» dans l'environnement des progrès fulgurants de l'intelligence collectivisée par les TIC?
En conclusion, je rappelle les entrées «titres» et «sous-titres» du dossier du Courrier International:
- «Les nouveaux prophètes de la Silicon Valley: à une époque où les hommes politiques n'osent plus révolutionner le monde, les milliardaires du web rêvent non seulement de refaçonner la société, mais aussi de vaincre la vieillesse et la mort»
- «L'État-nation: une machine à entraves»
- «Les décisions les plus importantes de l'histoire de l'humanité pourraient être prises par un minuscule groupe d'hommes d'affaires»
- «Comment la Silicon Valley dirige notre avenir»
- «Malgré l'apparition de nouvelles technologies, les hommes politiques d'aujourd'hui manquent singulièrement d'ambition»
- «Des surhommes»
Surhommes ou croissance en «humanité»?
R.-Ferdinand Poswick,
Administrateur-délégué