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NAM-IP Infos 2015/4 – Recherche
Fire in the Valley. The Birth and Death of the Personal Computer

Michael Swaine and Paul Freiberger, Fire in the Valley. The Birth and Death of the Personal Computer. Third Edition. The Pragmatic Bookshelf, october 2014, 386 pages.

Si la première édition de ce livre remonte à 1984, époque de l'explosion du développement des micro-ordinateurs, il a été largement remanié et mis à jour pour mener le lecteur jusqu'à 2014. Cela donne aux auteurs l'occasion de développer leur vision exprimée dans le sous-titre: au moment de l'extension des tablettes et smartphones ainsi que du développement (ou retour) vers le «cloud», ils considèrent que l'ère des micro-ordinateurs se clôture!

Si l'on peut discuter, ou au moins nuancer, cette vision, le descriptif de la naissance des micro-ordinateurs qui occupe les 9 premiers chapitres est tout à fait passionnant car il est construit sur de nombreux témoignages personnels des principaux acteurs de cette révolution qui, comme le rappelle John Markoff dans sa préface et en citant un propos de John Doerr fut «pour le 20e siècle, le plus important accroissement légal de richesse en une fois»!

L'apparition des microprocesseurs d'INTEL entre 1969 et 1971 (sortie du chip 8008) fut l'invention sur laquelle va se greffer toute l'aventure des micro-ordinateurs. D'abord l'Altair du MITS (Micro Instrumentation Telemetry Systems) d'Ed Roberts et de deux autres anciens officiers de l'Air force en 1975: un kit que les hobbyistes devaient assembler eux-mêmes avant de le programmer en langage machine avec des interrupteurs placés sur la face du kit assemblé!

C'est l'annonce de cette «boîte à microprocesseurs» qui fera réagir les deux copains hackers qu'étaient Paul Allen et Bill Gates (il avait alors 14 ans) annonçant à Ed Roberts qu'ils avaient un BASIC qu'ils pouvaient faire fonctionner sur son Altair – alors qu'ils n'avaient encore rien en main, sauf les idées, «inaugurant ainsi les pratiques de ce segment d'industrie d'annoncer à l'avance des produits encore inexsitants» (p. 54). Mais ils le réalisèrent pour MITS à partir d'un contrat passé avec leur compagnie de logiciels qu'ils avaient baptisée MICROSOFT. Ce BASIC fut développé d'abord pour l'Altair 8800, puis pour l'Altair 680b durant l'année 1975.

Mais en juin 1976 la firme IMSAI, sort l'IMSAI 8080 sur un modèle très proche de l'Altair. Au printemps 1977, c'est le Commodore PET et le premier Apple qui se poussent médiatiquement dans le milieu des hobbyistes et hackers de la côte Ouest. Tandis qu'Allen et Gates quittent MITS pour devenir créateurs et vendeurs indépendants de software sous leur propre label de Microsoft, alors que MITS doit se vendre à PERTEC; ce qui annonce la disparition progressive de l'Altair du marché en création.

À côté de Bill Millard son fondateur, ce sera Seymour Rubinstein qui mènera le marketing à pas forcé de la firme IMSAI qui établit d'ailleurs rapidement une antenne européenne à Luxembourg. Rubinstein négociera pour l'IMSAI des contrats pour le software du disque dur auprès de Gary Kildall ainsi que le MBASIC de Bill Gates (Microsoft). Mais un marketing intensif et énervant ne permit pas à l'entreprise d'assurer qualité et renouvellement. Elle fera faillite au printemps de 1979. Deux anciens employés continueront à faire vivre la marque quelques années de façon modeste… ce qui valut à l'IMSAI de figurer en 1983 dans le film War Games!

Les auteurs décrivent bien les milieux qui virent naître cette fièvre d'inventions tous azimuts autour de l'appropriation personnelle de la puissance informatique alors représentée par l'écrasant système clérical d'IBM: un petit cercle fermé d'initiés contre lequel va naître une contre-culture, celle des successeurs des hippies et des déçus de la guerre du Vietnam, pour la plupart ingénieurs sortis des grandes universités de Stanford et de Berkeley au Sud et à l'Ouest de San Fransisco. D'où le sous-titre «Rebelling Against the Priesthood»: les grands-prêtres sont les cadres très sélectifs d'IBM qui, à l'époque, dominait tout le marché de l'informatique. IBM que l'on appelait «Blanche Neige» par rapport aux 7 «nains», les 7 autres opérateurs du secteur de l'informatique qui tous ensemble n'arrivaient pas à la cheville d'IBM (Sperry UNIVAC; Control Data Corporation = CDC; Honeywell; Burroughs, General Electric, RCA; NCR).

L'un des gourous, fondateur et animateur du mouvement, fut Lee Felsenstein qui avait travaillé un temps pour AMPEX et qui deviendra l'animateur de l'Homebrew Computer Club, l'âme des hobbyistes qui créeront les micro-ordinateurs. La perspective de base de ces visionnaires (dont Ted Nelson est également l'un des gourous) est très «humaniste» comme l'indiquent les racines de la vision de Felsenstein: «Le père de Lee lui avait un jour recommandé la lecture du livre Tools for Conviviality de Yvan Illich, auteur du livre Deschooling Society. Prenant la radio comme exemple, Illich affirmait que les technologies deviennent utiles seulement quand les gens sont capables d'apprendre par eux-mêmes ces technologies. Dans son enfance à Philadelphia, Felsenstein avait construit sa propre radio. Il pouvait apprécier la comparaison. Les outils vraiment utiles, poursuivait Illich, doivent être conviviaux. Il doivent se maintenir au-delà de la tentation des gens à les abandonner quand ils doivent apprendre comment s'en servir ou comment les réparer. Felsenstein prit ce message d'Illich à cœur. Il voulait que la technologie des ordinateurs se répande comme ce fut le cas pour la technologie des postes à galène. Il commença donc à rassembler des idées pour un terminal convivial, et dans le vrai esprit des années 1960ss, il cherchait un plan communautaire… Ce type de terminal devait être aussi facile à construire et à réparer qu'un poste à galène» (op.cit. p. 106).

Avec Bob Marsh, Felsenstein va louer un garage à Berkeley – beaucoup de choses sont nées dans des «garages» à cette époque-là et là-bas! – en janvier 1975 pour y installer leur Homebrew Computer Club et suite à la parution dans le numéro de janvier 1975 de Popular Electronic de l'annonce du Altair. Ce Homebrew Computer Club devint vite un «extraordinaire lieu de rencontre de personnes expertes en ingénierie et à l'esprit révolutionnaire qui seront la source de création de douzaines de sociétés d'informatique» (p.108). Ce lieu fut vraiment un incubateur pour ce qui deviendra la Silicon Valley.

Les firmes de micro-ordinateurs, de composants (disques, écrans, etc) ou de logiciels vont champignonner en 1977. Les auteurs en citent une trentaine (p. 136) dont Apple, MITS et IMSAI restent les plus connues. C'est ce groupe qui poussera la révolution des micro-ordinateurs en choisissant, par différence d'avec le géant IBM et son concurrent DEC, un système de circuiterie de données et signaux («bus») nouveau et spécifique le «S-100 bus». Le Video Display Module (VDM) de Processor Technology (1976) va permettre de développer des programmes de jeux, notamment des programmes d'échecs. Cet écran à possibilités graphiques va ouvrir la porte à ce qui deviendra un Tableur (le premier fut VISCALC de Dan Fylstra) ou un Traitement de texte (la premier fut l'Electric Pencil de Michael Shayer à la fin de 1976). Et, parallèlement, Garry Kildall va développer le premier vrai «operating system» («système d'exploitation») pour micro-ordinateurs sous le nom de Control Program for Microcomputers (CP/M) qu'il vendra notamment à IMSAI. C'est dans cette foulée que Paul Allen et Bill Gates vont créer de rien le BASIC qu'ils vont donner à IMSAI qui les engagera pour en poursuivre le développement. Mais leur BASIC sera vite concurrencé par celui de Gordon Eubanks, le BASIC-E, un langage ressemblant à un compilateur et qui permettait aux programmeurs de livrer des développements logiciels sans perdre le contrôle sur leur application.

 WordStar, successeur de WordMaster créé par Rob Barnaby pour l'IMSAI en 1978, va vite supplanter l'Electric Pencil de Michael Shayer et booster un temps les ventes d'IMSAI.

Mais, dans toute cette effervescence, les auteurs n'oublient pas de signaler que le français Philippe Kahn – qui s'installera à Cupertino (Silicon Valley) en 1982 pour fonder Borland International –, avait contribué à la programmation du micro-ordinateur MICRAL de la firme BULL, mis au point par un ingénieur d'origine vietnamienne André Truong Trong, plus d'une année avant l'apparition de l'Altair! (pp. 173-174). C'est Philippe Khan et sa société qui porteront les développements de software de Joseph Ellison créateur du gestionnaire de Bases de données ORACLE qui tournera sur les premiers PC d'IBM en 1982. Kahn sera également le developpeur du TURBO PASCAL en 1985, langage qui sera rattrapé commercialement par le QuickBasic de Microsoft à peine un an après! Rien qu'un petit exemple de la guerre sans pitié que se livraient tous ces créateurs pour défendre leur production et l'imposer au marché.

Le lobbying était donc capital. Il se faisait à travers les Foires et les Magazines spécialisés qui vont proliférer. Carl Helmers va lancer Byte en juillet 1975. Le titre sera revendu à McGraw-Hill en avril 1979. Dr. Dobb's, puis Personal Computing suivront. David Bunnell, qui avait travaillé à MITS va créer successivement plusieurs titres connus comme PC Magazine, PC World, MacWorld, Publish ou New Media.

On voit également apparaître, à partir de décembre 1975 les premières boutiques de ventes et réparations d'ordinateurs, comme la Byte Shop de Paul Terrell à Mountain View. Il en créera d'autres un peu partout en Californie dès 1976. ComputerLand sera lancé par Ed Faber en septembre 1976… et fin 1977 il avait 24 magasins de ce type et 458 en juin 1983.

Devant cette effervescence, les «majors» ne pouvaient rester indifférents, même s'ils furent lents à démarrer. Tandy Radio-Shack crée le TRS-80 à partir de 1977… et en septembre de cette même année, il en avait déjà vendu, grâce à son réseau de distribution, plus de 10.000 exemplaires! Son concurrent direct en «home computing» fut immédiatement le PET de Commodore et l'Apple II qui sortait cette année-là!

L'aventure la plus singulière, dans cette pépinière des micro-ordinateurs, reste celle de la naissance et des développements d'Apple. Stephen Gary Wozniak (Woz) était un bricoleur électronique dès son enfance à Sunnivale (Silicon Valley), brillant mathématicien et créateur connu de blagues intelligentes. Il va créer, pour s'amuser, le Cream Soda Computer dans le salon de son ami Fernandez… mais quand il voudra le faire démarrer devant un journaliste local, l'alimentation électrique chauffera et fera tout partir en fumée! Mais ce «jeu» fut l'occasion pour Fernandez de faire faire connaissance à Woz d'un autre ami d'enfance Steve Jobs. Avec lui, pourtant 5 ans plus jeune que lui, il va faire les 400 coups, notamment en piratant des cartes de téléphone et en dessinant de nombreux plans de machines électroniques. Steve Jobs ira passer un an aux Indes pour mieux connaître le Boudhisme, tandis que Woz est engagé chez Hewlett-Packard. Steve Jobs va travailler pour Atari où il crée des jeux pour consoles électroniques.

Le contact avec les hobbyistes et hackers du Homebrew Computer Club vont exciter le rêve de Woz de créer un ordinateur personnel. Comme il ne pouvait se payer le microprocesseur 8080 de Intel, vendu trop cher et qui fonctionnait sur les Altair, il acheta comme base un microporcesseur 6502 pour 20 $; il adapta le BASIC utilisé par l'Altair et connecta le tout à un écran et à un clavier: l'Apple I était là! Avec Steve Jobs qui vendra son combi Volkswagen et Woz deux calculatrices électroniques, ils vont créer leur première «entreprise» et, après une démonstration devant les fans du Homebrew Computer Club, ils persuaderont le premier «vendeur» de micro-oridnateurs, Paul Terrel (Byte Shop) de leur acheter 50 Apple! L'aventure commençait sous son angle commercial! On est en 1976. Et, dès l'été de cette année Woz travaille à une nouvelle version de son ordinateur, tandis que la visite de Mike Markkula, ancien employé d'Intel, au garage de Steve Jobs où se faisait la création des Apple, en octobre 1976 sera décisive. Mike Markkula va créer avec les deux jeunes hommes la première société fondée sur un capital de 300.000$, tandis que les deux Steve sortent l'Apple II et obtiennent un crédit de la Bank of America et une publicité dans Playboy: à la fin de 1977, la société gagnait de l'argent et doublait sa production tous les 3 mois! En juin 1978, Woz ajoute un disque à son Apple II et la même année, grâce à son ami Espinoza, la jeune start-up publiera le Livre Rouge, un manuel d'utilisation qui rendra populaire et simple l'usage de ce micro-ordinateur. En mai 1980 ce sera la présentation de l'Apple III et, quelques mois plus tard, l'entrée en Bourse de la société qui vendra 78.000 micro-ordinateurs cette année-là! Mais le 7 février 1981, Woz a un accident avec son avion personnel et ne se remettra pas vraiment des suites de cet accident. Cela n'empêchera pas Steve Jobs d'investir largement en recherche et développement pour proposer, après le Lisa (sans succès commercial), le Macintosh fabriqué dans une usine très automatisée à Fremont en Californie. Il sortira en janvier 1984.

Parallèlement, en 1980, Bill Gates et Paul Allen (ils avaient respectivement 24 et 27 ans à l'époque), faisaient fructifier Microsoft en créant des logiciels. Ils avaient 32 employés et gagnaient 8 millions de dollars par an. Ils travaillaient pour différents créateurs de micro-ordinateurs comme le Sol de Felsenstien ou le Osborne d'Adam Osborne (le premier micro-ordinateur transportable). Ces réussites commerciales vont éveiller l'appétit des grandes firmes pour les micro-ordinateurs. Hewlett-Packard va tenter sa chance avec l'HP-85 sorti en janvier 1980. Xerox sortira l'Alto en 1980, puis la possibilité de relier plusieurs micro-ordinateurs à travers l'Ethernet en 1981. Mais c'est en juillet 1980 qu'IBM prend contact avec Bill Gates. De longues négociations aboutiront au PC-DOS de Microsoft rebaptisé MS-DOS pour le premier micro-ordinateur lancé par IBM le 12 août 1981. Entre août et décembre 1981, il s'en vendra 13.000 unités; puis 520.000 unités sur 1982 et 1983!

C'était le début de la fin pour les quelques 300 petites start-ups qui avaient développé des produits de ce type depuis l'Altair de 1975!

Le 19 avril 1985, Jobs se bagarre avec son patron d'Apple John Sculley. Il quitte Apple le 24 mai 1985.

Ce sera l'époque d'efflorescence des clones du PC d'IBM et de l'Apple ou du Mac. Du développement de progiciels comme Lotus 1-2-3, avec une domination de plus en plus évidente de Microsoft sur tout le marché. Même IBM n'arrivera pas à faire passer dans le public son OS/2: Windows le supplentera!

Sun Micro-systems (Open systems et Java) va naître en 1991, tandis que Steve Jobs tente de lancer son NeXT sur base de ses propres investissements. Mais ce sera l'aide donnée à Hollywood comme investisseur et conseillé de PIXAR qui lui donnera les idées des ressources à créer pour profiter de l'ouverture publique de l'Internet à partir de 1992. Au-delà de la guerre des Browsers (Netscape de Sun Micro-systems contre Internet Explorer de Microsoft), ce sera la réintégration de Steve Jobs dans Apple et l'achat par cette firme de son NeXT en 1996 qui sauveront Apple de la faillite et lui donneront un nouveau lustre avec l'introduction de l'iMac en 1998 et 1999, puis de l'iPod en 2004, de l'iPhone et de l'iPad en 2010 (année où Apple vendra un million de ses tablettes, tandis qu'en 2011, il en vendra 25 millions)! Steve Jobs meurt d'un cancer en 2011 à l'âge de 56 ans.

Les applications du Web deviennent les lieux de développements et de profits; ce qui mène vers la concentration des données dans le «cloud»: à partir de terminaux plus ou moins intelligemment programmés (mais guère programmables) on peut gérer à peu près tout ce qu'un humain peut vouloir gérer comme données, avec l'aide de «data centers» qui stockent les données et d'applications qui les y mènent et peuvent retrouver l'utilisateur final où qu'il se trouve sur la planète!

Mais, selon les auteurs de Fire in the Valley, on se trouve là à la fin de l'ère, au total très brève (1975-2010), des Micro-ordinateurs!

Ce livre passionnant est complété par une Chronologie (pp. VIII à XII) et par un Index alphabétique très complet (pp. 377-386).

R.-F. Poswick