Comme raconté dans NAM-IP Infos 2015/4, une machine Burroughs série M [Moon-Hopkins] offerte à l‘Université de Namur par Jacques Laffut est désormais exposée et commentée dans le hall d’entrée de la Faculté d’Informatique, rue Grandgagnage 21 (voir figure 1).
Comme l’atteste le site Web du National Museum of American History, ce type de machine fut produit entre 1951 et, au moins, 1957 par la firme Burroughs Adding Machine Company, basée à Detroit, dans le Michigan (USA). Des versions antérieures de cette machine et moins sophistiquées furent fabriquées dès les années 1920, par cette même firme, et s’appelaient, à l’époque, Burroughs Moon-Hopkins En effet, les droits de fabrication en furent achetés en 1921 par Burroughs à la Moon-Hopkins Billing Machine Company. Cette dernière avait été fondée par Hubert Hopkins, détenteur dès 1904 d’un brevet de ‘machine à multiplier et à écrire’ purement mécanique (dépourvue de moteur), et par son associé, un homme d’affaires nommé John C. Moon.
La Burroughs série M était vendue pour effectuer «une gamme complète de travaux comptables» en ce compris la facturation (voir figure 2). Comme l’explique, en effet, le dépliant publicitaire, cette machine réunit les potentialités de deux machines: elle est, à la fois, à calculer (cf. clavier inférieur) et à écrire (cf. clavier supérieur).
C’est la définition de la composante machine à calculer de la Burroughs série M, exposée à l’Unamur qui va être explicitée ici. Malheureusement, cet exemplaire est dépourvu de descriptif officiel et a perdu son mode d’emploi. Sa définition est donc déduite de l’observation de l’extérieur de la machine, des explications et commentaires d’un témoin occulaire de son fonctionnement, Gilbert Lemaître (neveu de Monseigneur Georges Lemaître) et de deux documents qui ont pu être retrouvés et qui sont respectivement intitulés: Hopkins: Calculating Machine – Application Filed Apr. 9, 1906 (fourni par Alain Guyot) etInstructions for Operators Operators - Burroughs Moon-Hopkins Billing Machine(non daté) (envoyé sous forme électronique par Mark Glusker - voir figure 3). Le vocabulaire utilisé ci-dessous est celui qui est courant actuellement en histoire des machines à calculer.
La Burroughs série M est une machine (électro)-mécanique: elle est composée d’un savant assemblage de roues, engrenages et leviers. Elle est munie d’un moteur électrique mais ne recourt pas à des relais électromécaniques. Elle comporte sept registres accumulateurs (pouvant être aussi appelés totalisateurs ou additionneurs): six antérieurs (front) (dont un seul à la fois est actif) et un postérieur (rear) (notamment pour mémoriser les résultats intermédiaires). Ces registres ne sont pas visibles extérieurement mais peuvent être imaginés à partir d’illustrations (figures originales 4 et 5) extraites de Instructions for Operators. Ces illustrations concernent une machine équipée de seulement trois registres antérieurs en plus du registre postérieur. Elles montrent à l’évidence que le registre antérieur actif est celui qui se trouve dans l’alignement du registre postérieur.
Les Moon-Hokins sont toutes des machines dites décimales: ceci signifie que c’est le code décimal qui a été choisi pour y représenter les nombres. La preuve visuelle en est à trouver à nouveau dans des schémas (voir figure 6): dix dents peuvent y être dénombrées sur chaque roue visible de registres accumulateurs.
Par ailleurs, la machine Burroughs série M est capable d’effectuer des multiplications directes, via la matérialisation de la table de multiplication de Pythagore, ainsi que des soustractions (mais pas les divisions) (voir aussi figures 4 et 5).
Et enfin, comme formellement attesté par Gilbert Lemaître, elle est «partiellement» programmable (voir figures 7 et 8): l’utilisateur peut recourir à une réglette de programmation («partielle»), amovible et tenue par des molettes (qui permettaient de visser et dévisser la réglette manuellement). Une telle réglette peut supporter différents types de bloc que l'on peut garnir chacun d'une panoplie de taquets. Chaque taquet correspond à une fonction de programmation particulière. Au passage du chariot, chaque taquet fait monter la roulette solidaire du levier dont la tige pénétrait à l'intérieur de la machine. Ce levier y enclenche la fonction désirée sans que l'opérateur ne presse aucune touche. Mais l’utilisateur ne peut se contenter d’utiliser une réglette donnée: il doit aussi presser des touches du clavier pour utiliser sa machine et réaliser certains séquencements impossibles à programmer via une réglette à blocs munis de taquets. Il est manifeste que la programmation possible sur la Burroughs série M est plus sophistiquée et variés que celle implicitement décrite dans Instructions for Operators: dans la machine plus ancienne et plus simple que devait accompagner ce manuel, seul le changement automatique de registre était, en effet, programmable.
La Burroughs Série M étant ainsi définie, il convient maintenant de donner quelques explications relatives à son clavier inférieur (voir figure 1). Celui-ci se compose de trois parties. Les touches blanches centrales sont utilisées pour l’entrée et impression tant des termes d’une addition (ou d’une soustraction) que d’un nombre à multiplier. Les touches noires de droite servent à l’entrée du nombre multiplicateur. Les touches noires de gauches sont appelée ‘touches des résultats’: elles sont destinées à l’impression des totaux, des différences et des produits.
La machine exposée en Faculté d’informatique s’inscrit manifestement dans une voie qui se révélera sans issue. L’ordinateur s’en distingue à de nombreux points de vue puisqu’il est à la fois électronique, binaire, capable évidemment d’effectuer toutes les opérations arithmétiques (en ce compris la division), complètement programmable, et surtout que son programme est enregistré en mémoire centrale lors de son exécution.
L’intérêt de la Burroughs série M est néanmoins très grand et multiple. En effet, tout d’abord, elle présente un double scoop d’un point de vue technique: d’une part, le caractère «partiel» de sa programmation n’a jamais été décrit encore dans la littérature relative aux automates et un néologisme a donc dû être employé ici, et, d’autre part, le recourt à des taquets est inédite pour une machine à calculer. A cela s’ajoute une utilisation hors du commun de la machine qui la rend pratiquement légendaire: une machine de ce type a été rachetée à une banque, avant 1956, par Georges Lemaître, le père de la théorie du Big Bang. Ce dernier l’a détournée de son objectif originel de facturation et l’a utilisée à des calculs scientifiques très sophistiqués, manifestant ainsi son génie inventif et pratique.
Marie d’Udekem-Gevers
Faculté d’informatique Université de Namur
marie.gevers@unamur.be
Administrateur de Nam-Ip
Pour en savoir plus:
● https://info.unamur.be/Moon-Hopkins/presentation/