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NAM-IP Infos 2017/2 – Comptes rendus

Annabella Klein, Nos jeunes à l'ère numérique, Pixels, Academia/L'Harmattan, Louvain-la-Neuve,
janvier 2017,
208 pages, ISBN: 978-2-8061-0313-0

Plusieurs contributeurs envisagent sous leur angle professionnel spécifique la problématique des usages du numérique par les jeunes. «Penser les écrans autrement» (Serge Tisseron) s'adresse aux pédagogues, mais également aux parents: ne pas démoniser tablettes et smartphones, faire l'effort d'accompagner les jeunes dans leurs démarches (même si elles semblent troublantes) et, surtout, orienter leur pratique de ces vecteurs de la communication numérique vers une utilisation créative des nouvelles potentialités offertes.

Beaucoup de modèles d'analyses des phénomènes nouveaux provoqués par l'utilisation massive des TIC sont fondés sur la culture du livre, ou, au mieux, sur celle de l'audio-visuel classique (radio, TV, téléphone). Ils s'avèrent inadéquats pour penser ce qui se développe dans les réseaux sociaux depuis le lancement de Facebook il y a à peine une dizaine d'années (Pascal Minotte et Omar Rosas). La réalité est que «l'évolution des TIC révolutionne les pratiques du vivre ensemble» (Annabella Klein).

Ce qui semble certain, c'est qu'il faut éviter de livrer des enfants tout petits (pratiquement jusque vers 4 ans) à la fascination des écrans ou des tablettes: cela peut entraver le développement de leur coordination mentale (Pascale Minotte et Arnaud Zarbo). À l'âge pré-scolaire, il faut être très vigilant pour que l'exposition des enfants aux écrans reste très limitée dans le temps. Par contre, par la suite, il ne faut pas démoniser l'écran (tablette ou smartphone) mais en limiter les usages et accompagner ces utilisations. Pour l'adolescence, il faut surtout aider le jeune à se construire une identité sans qu'il y ait des blocages qui le fasse s'enfermer dans l'écran et qui lui fasse perdre le vrai contact social. Ceci est particulièrement vrai pour tout ce qui touche à «la vie sexuelle et affective de nos ados à l'heure du net» (Arnaud Zarbo). À un âge où «le corps de l'adolescent est un défi» et face à cette réalité de l'exposition aux images et communications en réseau, on trouve de plus en plus de jeunes qui, plus que dans la génération antérieure, acquièrent assez tôt la conscience que toute image est «truquée», «pixelisée», «programmée», «déformée»… et donc qu'elle est «relative»! Ce qui les pousse d'ailleurs à produire avec raffinement l'image numérique qu'ils veulent donner d'eux-mêmes – fut-ce pour se «tester»! Il faut donc s'éloigner d'une approche purement moralisante sur l'effet des TIC dans le développement sexuel des adolescents. S'il y a des excès et des déviations, Internet ou les TIC sont souvent pour les ados une source d'information qui peut les aider à se développer et à créer leur identité. De ce point de vue, il ne faut pas «gonfler» les aspects négatifs de la pornographie électronique. Mais il faut veiller à ce que l'adolescent puisse rester en dialogue sur ses découvertes. D'ailleurs, aujourd'hui «les logiciels et les modalités de contournement évoluent si vite sur Internet qu'il est pratiquement impossible de mettre en place un contrôle d'accès à la pornographie qui soit véritablement efficace» (Arnaud Zarbo). Et le même auteur poursuit: «Il n'existe malheureusement pas de recette miracle concernant ce qui touche à la sexualité. Néanmoins, il nous semble que les attitudes les plus efficaces soient celles qui permettent de faire émerger chez les jeunes une pensée critique par rapport à ce qu'ils observent dans leur environnement médiatique et celles qui les autorisent à s'exprimer. Cette émergence n'est possible qu'à condition de reconnaître et de rendre au jeune sa place d'acteur de sa sexualité. Avant de vouloir leur apporter des réponses et de corriger leurs stéréotypes, il serait peut-être intéressant d'accueillir la parole des jeunes et leurs regards sur le monde.» (p. 126).

Si la psychanalyse peut proposer une psychodynamique aux adolescents immergés dans ce monde numérique (Yann Leroux), il ne faut pas se faire d'illusions: «Appliquer la psychanalyse aux mondes numériques est une aventure incertaine. Le psychanalyste travaille à partir de ce que le patient lui dit dans la séance en s'appuyant sur les pensées et les émotions que ces paroles provoquent en lui. Comment écouter l'Internet et son milliard de voix humaines? Comment entendre les paroles et les silences du réseau? Comment reconnaître ce qui est voix humaine et ce qui est bruit de machine?» (pp. 134-135). Et le même auteur d'ajouter: «si le cyberespace intéresse tant les adolescents, c'est parce qu'ils y ont l'assurance de retrouver des groupes, de les abandonner ou de les créer. En d'autres termes, les communautés numériques sont des attracteurs pour les adolescents dans le cyberespace. Dans les communautés numériques, les adolescents trouvent de nouveaux espaces de socialisation. Celles-ci s'expriment dans l'investissement de tiers-lieux et par l'expression de conflits sur le réseau Internet» (p. 157). «Le fait de disposer sur Internet de ces espaces informels est d'autant plus important pour les adolescents qu'ils disposent de moins en moins d'espace et de temps libres… Ils peuvent de moins en moins [à cause de la pression sécuritaire générée par les parents et la société] traîner sur le chemin de l'école ou sur un terrain de basket… or les adolescents ont besoin de passer du temps avec leurs pairs pour explorer les nouveaux aspects de leur Self» (p. 159).

Cette ouverture à l'accompagnement du jeune dans ces nouveaux espaces numériques sont très bien décrits pas Yann Leroux en p. 158: «un espace comme Facebook est un espace libre… celui qui s'y insère s'y sent à l'aise comme dans ‘sa’ maison . Chacun possède ‘son Facebook’ et vit son compte en ligne comme un espace personnel dans lequel il fait bon vivre». Mais il faut rester conscient des dangers: les usages excessifs d'Internet et des jeux vidéos que tentent d'évaluer Pascal Minotte et Omar Rosas (pp. 165-188).

Les TIC peuvent parfois mener aux TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs). Face à ces dangers, voici l'attitude préconisée par ces auteurs: «l'idée est d'éviter de diffuser des représentations anxiogènes contre-productives en matière de prévention. En effet, nous devons, avant tout susciter la communication, les échanges, le partage d'activités et d'expériences autour des espaces numériques plus que l'évitement ou la censure. Or, nous savons que mobiliser des représentations trop inquiétantes appelle ces deux dernières attitudes» (p. 173).

Cela permet à Annabelle Klein et Omar Rosas de conclure sur «la révolution numérique et l'évolution des jeunes» (pp. 189-201): nécessité d'une démarche compréhensive qui s'intéresse «aux parcours de domestication des technologies numériques dans une période de la vie caractérisée, entre autres, par le changement physique et psychologique» (p. 190). «Nous espérons avoir montré que les écrans… ne doivent pas être diabolisés a priori. Au contraire, tout en signalant les potentielles inquiétudes qu'ils peuvent provoquer chez les parents, chez les enseignants, voire chez les professionnels de l'enfance, nous avons tenu à reconnaître les avantages cognitifs, affectifs et de socialisation que l'usage de ces écrans comporte» (p. 195). En conclusion, si l'on vit un «virage culturel et social majeur» à travers le développement accéléré et massif des TIC ces 20 dernières années, ce virage n'est pas le résultat d'un déterminisme technologique inéluctable: il reste clairement possible «d'adopter une perspective critique sur les dispositifs techniques qui colonisent nos vies quotidiennes et sur les usages que nous en faisons, consciemment ou inconsciemment, de façon individuelle ou collective» (p.201).

Chaque chapitre de ce livre est appuyé sur une abondante bibliographie spécifique.

Un bon outil de réflexion critique!

R.-Ferdinand Poswick