Nous voulons attirer l'attention sur une importante étude qui tente de faire le tour des problèmes relevés autour de Facebook et de son usage entre 2006 et 2016-17 sur toute la planète!
La présente livraison de l'importante revue de réflexion sur les médias et la communication est entièrement consacrée à une analyse critique du phénomène Facebook. L'étude s'appuie sur le dépouillement de 400 articles publiés sur le sujet entre 2006 et 2017 et dont on trouve la liste bibliographique aux pp. 28-42.
Lancé par Mark Zukerberg et ses amis comme outil de convivialité au sein de l'université de Harvard à Cambridge (Massachussett, U.S.A.) en 2004, Facebook a succédé à d'autres essais du même type comme SixDegrees (1997), LiveJournal (1999), MySpace (2003)… et il s'est développé en même temps que d'autres relais sociaux du type de LinkedIn ou autres! Mais sa croissance exceptionnelle (plus d'un milliard d'abonnés en 2017) en fait un phénomène de société à l'échelle planétaire. Cela justifie une réflexion critique sérieuse sur le phénomène. Réflexion qui a déjà commencé avec les travaux de Cars & Cie (2013), Lincoln & Robards (2014), ou Rains & Brunner (2015).
Les champs d'application
Dans les articles examinés, différents traits psychologiques liés à l'utilisation de Facebook sont mis en évidence. Parmi ceux-ci, reviennent souvent des problèmes de privacy (respect de la vie privée) et des effets négatifs de «jalousie» comparative qui mènent certains à abandonner Facebook… au moins pour un temps.
Une étude montre que d'autres réseaux sociaux ont plus de succès que Facebook dans certains domaines: «Snapchat pour occuper le temps ou partager des questionnements; Twitter pour des communautés labellisées; Instagram pour des liens affectueux ou pour suivre la mode! ».
Pour beaucoup, Facebook peut être considéré comme créateur et développeur de relations personnelles: modelage de l'identité personnelle, développement de la relation interpersonnelle, et, notamment: les amitiés, les aventures amoureuses, les relations familiales.
Dans le domaine du Journalisme, on constate une concurrence entre les médias traditionnels d'information (imprimés, télévision, radio) et l'utilisation de Facebook. La nouveauté avec Facebook vient aussi d'une plus grande facilité à réagir sur des informations et à réagir «en réseau». Mais Facebook est également devenu un élément du système éducatif. Il permet plus d'interactivité entre les enseignants et les enseignés, voire une formation personnalisée à distance… mais parfois au prix d'une dé-crédibilisation de l'enseignant!
Dans le domaine de la politique, on trouve tant des effets positifs que des effets négatifs; mais on ne peut plus nier l'impact visuel et collectif de Facebook pour manipuler les opinions publiques. Toutes les techniques de la persuasion publicitaire (ou de la propagande) peuvent être utilisées à travers Facebook. L'impact sur tous les types de groupes actifs voire activistes en est considérablement augmenté et a déjà prouvé ses effets. Mais, souvent, Facebook entraîne des conflits internes au sein de ce genre de regroupements dans la mesure où une coordination devenue nécessaire est contestée par ceux qui ont précisément trouvé dans Facebook une voie d'expression de leur liberté!
L'article de Gerbando (2017) qui a analysé ce phénomène dans le développement de différents groupes de protestation civique, conclut que s'y révèle
« la profonde contradiction entre le rôle de leadership exercé par les leaders du groupe d'expression du médium social et l'attachement des activistes numériques aux valeurs technico-libertaires d'ouverture, d'horizontalité et de refus de leadership. L'acceptation de ces principes s'est trouvée opposée au maintien d'un pouvoir et d'une dynamique de leadership conduisant à d'amères conflits au sein même de ces « directions», conflits qui ont accéléré le déclin des mouvement qu'ils voulaient servir. Ce type de problème appelle une nouvelle conceptualisation pour définir et gérer la nature d'un leadership dans les mouvements liés au numérique ainsi que pour des pratiques politiques nouvelles pour mieux gérer le capital des médias sociaux » (p.17-18).
L'intérêt de cette section de l'analyse (comme des précédentes) se trouve également dans la diversité des pays et des continents sur lesquels différentes études relatives à Facebook ont été menées. Les phénomènes étudiés touchent, avec des variantes culturelles (mais apparemment assez minimes – ce qui pose d'autres questions) l'ensemble de la planète.
Une socialisation liée à l'utilisation que font les entreprises et tous types d'associations de Facebook, est en forte croissance et permet à ces groupes constitués de stimuler et rassembler leurs membres, surtout si ceux-ci peuvent observer que l'on réagit aux commentaires qu'ils font aux envois (postings) du groupement marchand ou non-marchand. Mais la frontière entre bonnes relations avec les membres et publicité déguisée (ou voulue) sont souvent assez peu claires et cela pourrait se retourner contre une utilisation abusive de Facebook.
Éthique et droit
Cela mène, naturellement, aux questions éthiques et légales que pose l'utilisation étendue de Facebook.
Facebook présente une situation nouvelle dans le domaine de la surveillance sociale (Big Brother?) et de la protection de la vie privée. Une grande majorité de personnes qui utilisent Facebook ne se posent la question de la protection de la vie privée qu'au moment où elles sont l'objet d'une utilisation abusive des données les concernant (la plupart du temps envoyées par elles!!). Mais le phénomène entraîne une réflexion nouvelle sur les relations entre «vie privée» et «socialisation». Par contre, il est certain que Facebook encourage la liberté de parole publique.
Quant aux règles de Justice concernant tout ces domaines, elles commencent seulement à être étudiées. De nouvelles régulations devraient voir le jour. Et, au fondement de ces régulations, on voit la nécessité de nouvelles positions et précisions éthiques: quelles guidelines (règles de bon usage) éthiques associer à l'utilisation de Facebook et à ceux qui en gèrent le développement de telle façon que l'humain en pas absorbé par la technologie?
D'autres domaines ont été l'objet d'analyses à propos de Facebook. Notamment: les pratiques dans le domaine médical (où les problèmes de « vie privée » sont majeurs); une évolution du langage ou de l'usage des langues (avec parfois une possibilité de renforcement de certains parlers nationalistes); la gestion de la mémoire des morts (qui a tendance à devenir une industrie dans l'usage de Facebook et appelle une autre gestion de la mémoire collective de ceux qui sont décédés); les aspects négatifs de Facebook (dangers pour les enfants surtout du côté de l'accès à la pornographie ; développement de l'insulte et de la dérision gratuites qui peuvent démolir les personnes, surtout des adolescent à l'âge où il cherche leur identité; le phising qui tente d'attirer des gens vers de faux appâts; l'addiction à Facebook; etc).
Questions conclusives
En conclusion, l'auteur de cette synthèse constate que la plupart de ces études appliquent des éléments connus de l'étude de la communication et des médias à un phénomène nouveau, mais ne cherchent pas de nouvelles approches méthodologiques. Pour sa part, l'auteur propose une approche d'écologie des médias
«Une écologie des médias demande de prendre en considération l'écosystème dans lequel le média fonctionne… voir comment le média fonctionne dans un ensemble plus complexe de culture et de société, de technologie et d'idéologie». (pp. 26-27).
L'aspect multinational, multiculturel et planétaire du phénomène Facebook est souligné par l'auteur pour justifier sa requête d'une vue globale et écologique. Il souligne qu'il manque peut-être d'études techniques et de réflexions sur les gestionnaires de l'empire Facebook. Globalement, toutes les recherches utilisées pour cette synthèse ne proposent pas encore un vrai regard critique sur le phénomène et ses acteurs. Bref, la voie est ouverts pour un nouveau champ de la recherche!
R.-F. Poswick