Le début de cet article a paru dans le NAM-Ip/Infos 2018/1 &
la seconde partie dans le NAM-Ip/Infos 2018/2
Le système opératoire
Au début, le Gamma 60 fut livré avec seulement une gestion générale «zéro» ou G.G.Z.
Chargée depuis une bande papier lue depuis le pupitre, elle assurait les fonctions de base de la machine. On l’appellerait de nos jours le BIOS, complété par une bibliothèque de sous-programmes de gestion de la machine. Cette bibliothèque était chargée sur un ruban magnétique défini: «le ruban Z». Voir détails dans la référence marquée André Maitre.
Il fallut attendre quelques années après l’installation du premier Gamma 60 pour qu’apparaisse un vrai système opératoire: la Gestion Générale des Unités de Traitement (G.G.U).
Elle comprenait entre autres une gestion des reprises sur incidents. Voir détails dans la référence marquée André Maitre.
Les Contraintes d’Installation
L’histoire du développement du Gamma 60 montre que cet aspect avait été négligé au départ.
Or l’installation d’un Gamma 60 exigeait:
1) Une salle de 300 à 400 m²;
2) Un faux plancher d’environ 30 cm de haut pour permettre le passage de câbles d’alimentation et de câbles de grosse épaisseur (jusqu’à une dizaine de cm) pour relier électroniquement les éléments entre eux. Ceci était dû aux impératifs d’isolation contre toute perturbation électro-magnétique extérieure. C’était en particulier le cas des câbles reliant les dérouleurs à leur contrôleur, dont le faible courant de lecture n’était pas amplifié au niveau du dérouleur;
3) Une très grosse installation pour l’alimentation en courant. De préférence avec un groupe moteur-générateur d’environ 300 KVA, lequel égalisait la tension, souvent peu stable à cette époque.
Afin d’alléger les contraintes électriques au démarrage, le Gamma 60 était équipé d’un «séquenceur». Ce dernier, encore construit avec la technologie des tubes électroniques, avait pour mission de mettre successivement sous tension, dans l’ordre adéquat, les différents éléments de la machine;
4) Une très importante installation de conditionnement d’air, à la mesure de ce que l’ensemble du système exigeait: température ambiante de 18°C., humidité relative de 60%, filtres à poussières pour le lieu où étaient les dérouleurs de ruban magnétique.
Conclusions
Le grand projet que fut la conception et la réalisation du Gamma 60 ne rencontra pas le succès escompté. Le Gamma 60 ne se retrouva que chez une quinzaine de clients, parmi lesquels la Régie des Télégraphes et Téléphones de Belgique, dont le système principal est représenté par la maquette présente au musée.
Les frais entraînés par la création du Gamma 60, en plus du développement d’autres produits, et l’obligation de mettre ce système en location chez les clients mirent la situation financière du constructeur en grosse difficulté.
La Compagnie des Machines Bull, sous capitalisée, se trouva en état de faillite en 1963. Des capitaux frais ne purent être trouvés ni dans le secteur privé, ni dans le secteur public. Une offre de rachat d’actions par General Electric sauvera la mise en 1964. On parlera alors, durant quelques années, de Bull General Electric, partie de l’Information Division du géant américain.
Mais le projet Gamma 60, mené jusqu’à son terme, eut des conséquences positives importantes pour la Compagnie des Machines Bull: Une forte évolution des esprits et un resserrement des relations interservices dans ce que deviendra Bull à travers toute son histoire. Une forte augmentation des effectifs et de leur qualification dans les nouvelles technologies. Une réorganisation des usines, en particulier le développement de celle d’Angers et de celle de Belfort. Des compétences techniques à tout niveau qui servirent à achever les projets en cours des petits ordinateurs Gamma 10 et Gamma 5. Ces compétences furent également mises au service de la fabrication et commercialisation sous licence, en 1962, d’un ordinateur moyen de gamme, le RCA 301, que l’on dénomma Gamma 30.
Ce développement de nouvelles compétences techniques fut très sensible dans la filiale belge de la Compagnie. À noter aussi que le Gamma 60 apporta une contribution importante au développement futur de l’industrie informatique française: ainsi par ex. nombre d’anciens du Gamma 60 se retrouvèrent chez CII. (La Cie Internationale pour l’Informatique) qui fut créée en France en 1968. D’autres essaimèrent chez de nouveaux acteurs de l’informatique française.
Pour beaucoup d’acteurs de ce projet, ce n’est pas ce que l’on a appelé «l’Aventure du Gamma 60» qui fit sombrer financièrement la Compagnie, mais la lenteur de sa réalisation. Lenteur due à une faiblesse dans le management général de ce très grand projet industriel. Il apparaitra aussi qu’en laissant ses équipes d’ingénieurs concevoir et réaliser un super système, la Compagnie ratait un marché bien plus juteux. Ce marché était le remplacement des ateliers à cartes perforées par un ordinateur à cartes perforées, imprimante rapide et dérouleurs. IBM l’avait compris et fit «un malheur» avec son 1401 commercialisé à partir de 1960 alors que Bull proposait dans le même but sa Série 300, dont la complexité était en raison inverse de ses performances et de sa fiabilité. Bull (devenu Bull-GE) n’allait se rattraper sur ce plan qu’avec son génial ordinateur à cartes Gamma 10 en 1965.
Le lecteur de cet article comprendra maintenant pourquoi ce système mythique, le Gamma 60, a marqué profondément l’esprit de tous ceux qui ont travaillé chez Bull, même si beaucoup d’entre eux n’ont jamais travaillé sur ce système (c’est mon cas) et même si beaucoup n’en ont même jamais vu un exemplaire!
G. Natan
Références (liens valables au moment de la publication de cet article)
• Claude Massuard
http://www.feb-patrimoine.com/histoire/systemes_ord/g6002.htm
• Illustrations de la technologie:
http://www.feb-patrimoine.com/projet/gamma60/gamma60_techno.htm
• André Maitre, Le Logiciel du G60
http://www.feb-patrimoine.com/projet/gamma60/histoire_du_gamma_60_logiciel_maitre.htm
• Emmanuel Lazard et Pierre-Mounier Kuhn, EDP Sciences 2016,
Histoire illustrée de l’Informatique
• Le Gamma 60 sous tous ses aspects
http://www.feb-patrimoine.com/projet/gamma60/gamma_60.htm
• L’Aventure du Gamma 60 sous la Direction de José Bourboulon.
Lavoisier 2005 Hermès sciences.
Sans oublier les précieuses informations techniques recueillies en direct chez François Thys (qui fut le responsable technique Bull de l’installation RTT), et Robert Spinette (qui programma et fut pupitreur pour Bull chez ce même client).