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NAM-IP Infos 2019/4 – Comptes rendus

Landes David S. 2017, L’heure qu’il est. Les horloges, la mesure du temps et la formation du monde moderne, Paris, Les belles Lettres, 632 p.

Ce livre est la version, revue et corrigée par Landes lui-même, d’une première traduction en français (datée de 1987) de l’ouvrage intitulé «Revolution in Time» (paru en 1983). L’auteur, David Saul Landes (spécialiste de l’histoire économique européenne moderne et de l’histoire technique et sociale) (cf. 4e de couverture).

 L’ouvrage est consacré à l’horlogerie mécanique et est divisé en trois parties et 21 chapitres, aux intitulés parfois énigmatiques.

«Trouver le temps» est le titre de la première partie. Cette dernière tente de répondre à deux questions: « comment et pourquoi une invention aussi féconde s’est-elle faite en Europe, et pourquoi est-elle restée un monopole européen pendant cinq cents ans ? » (p. 40). Le premier chapitre concerne « une magnifique impasse » : celle des clepsydres astronomiques du Xe et XIe siècles en Chine. L’auteur rapporte ensuite les cadeaux d’horloges mécaniques faits aux empereurs chinois par des Européens à partir du XVIe siècle. Quant au chapitre 3, il relate l’invention en Europe, dès la fin du XIIIe siècle, des horloges mécaniques et souligne que cette innovation a eu lieu dans le cadre de la vie monastique car cette dernière devait « fixer les heures de la liturgie » (p. 108). Le chapitre suivant concerne la diffusion de ces nouvelles horloges dans les villes peu après leur invention : cette technologie répondait en effet « au besoin de savoir l’heure » pour mieux organiser la vie urbaine et rythmer le travail.

La deuxième partie, intitulée « Garder le temps », « est un essai d’histoire des sciences et des techniques » (p. 41). Le chapitre 5 décrit les débuts de l’horlogerie mécanique, caractérisée notamment par le fait que « toutes les localités restèrent fidèles à leur ‘heure vraie’ telle que l’indiquait le soleil » (p. 149). La chapitre 6 rapporte l’exploration des trois voies qui s’offraient à l’horlogerie de petit volume : la « recherche d’une miniaturisation » toujours plus poussée (p. 156), le développement de l’horloge et des montres en tant qu’ornements et ce même développement pour obtenir des instruments de mesure. Le chapitre 7 se focalise sur l’accroissement de précision horlogère et en particulier sur les progrès fondamentaux apportés par le Hollandais Huygens au XVIIe siècle. Le chapitre suivant est consacré aux progrès ultérieurs : la gestion des variations de température et celle de la friction. Le chapitre 9 retrace l’histoire de l’Anglais Harrison, charpentier et horloger autodidacte, qui prouva au XVIIIe s. que la réalisation d’une horloge permettant de calculer les longitudes était possible. Vient ensuite la narration des résultats pratiques obtenu par la « filière française » (p. 227) dans ce domaine peu après les Anglais : Landes évoque en effet les réalisations fructueuses de Julien Le Roy, et surtout, celles de Ferdinand Berthoud, « horloger neuchâtelois établi à Paris et chef de file de ceux en France qui voulaient rivaliser avec les Anglais dans l’invention d’un chronomètre de marine » (p. 231). La chapitre 11 rapporte comment « dans le dernier quart du XVIIIe siècle, les Britanniques ont fait du chronomètre de marine un objet de production industrielle et d’utilité commercial » (p. 243). Il évoque les querelles du pionnier en ce domaine, John Arnold, avec son compatriote Thomas Earnshaw.

Quant à la troisième partie, la plus longue mais aussi la plus originale, elle a pour titre : « La facture du temps » (p. 263). Elle est « consacrée à ceux qui ont fait les horloges et les montres, et à leur œuvre. C’est là un exercice d’histoire économique, une revue des techniques de manufacture et des modes de production qui se sont succédé » (p. 41). D’entrée de jeu, l’auteur affirme : « je ne vois pas d’industrie qui illustre aussi bien les étapes de la manufacture » (p. 266). Et il ajoute qu’au cours de sept siècles de manufacture à dater de la fin du XIIIe, « le centre de production des horloges et des montres s’est déplacé d’Italie en Allemagne, d’Allemagne en France, de France en Angleterre et à Genève, et de d’Angleterre et de Genève au Jura suisse » (p. 266). Je trouve regrettable que dans la suite Landes ne développe pas les premières localisations de ce centre.

Le chapitre 12 me paraît particulièrement intéressant. Il raconte de façon détaillée comment étaient fabriquées et maintenues tant bien que mal les « horloges dans le beffroi » (267), notamment sur base d’un registre du XIVe siècle relatif à l’horloge à sonnerie horaire de Perpignan. Le chapitre suivant est dédié à la division du travail dans l’horlogerie. Landes y distingue « trois niveaux de spécialisation : entre corps de métiers, à l’intérieur d’un même corps, et sur un chantier ou dans un atelier » (p. 280). Il fait remarquer que les deux premiers niveaux étaient déjà très poussés lorsque l’horloge fit son apparition. Quant au troisième, il est fondé sur l’expérience et « était l’instrument de la transmission des connaissances et des compétences d’une génération à l’autre » (p. 286). Pour des raisons d’efficacité, explique l’auteur, l’horlogerie se composait en effet de trois catégories : les maîtres, les apprentis et les compagnons (« qui avaient achevé leur apprentissage sans être encore en mesure d’ouvrir leur propre atelier » (p. 286)). Cette hiérarchie existait dès avant l’apparition des corporations d’horlogers datée quant à elle du XVIe siècle. Le chapitre 14 relate et explique la suprématie de l’industrie horlogère britannique de la fin du XVIIe siècle à la fin du siècle suivant, avec « une série extraordinaire d’horlogers inventifs » (p. 298) dont Thomas Tompion. Il évoque l’effondrement de l’industrie horlogère française dans la seconde moitié du XVIIIe siècle malgré l’expertise de Breguet : ce dernier ne travaillait que pour les riches et un « flot croissant de montres », généralement de qualité médiocre, arrivaient en contrebande « de Genève, de Neufchâtel et de la Suisse » (p. 308). Et c’est au développement de l’industrie horlogère à Genève qu’est consacré le chapitre 15. Cette industrie décolla à la fin du XVIe siècle (p. 343). Son développement s’explique notamment par le fait que Genève, ville refuge, accueillit des « horlogers fuyant la France, où les protestants formaient l’élite de la profession » (p. 322). Mais, à la fin du XVIIIe siècle, le « crédit bancaire aux marchands était devenu un facteur déterminant de la prospérité de l’industrie » horlogère genevoise » (p. 338). À partir de 1780, la production horlogère genevoise commença à chuter (p. 344). Elle fut supplantée par l’industrie montagnarde de Neufchâtel et du Jura Suisse. Cette dernière démarra « sous la forme de quelques ateliers artisanaux au début du XVIIIe siècle pour devenir l’une des fabriques rurales les plus prospères du monde à la fin du siècle » (p. 333). C’est à l’analyse de cette réussite qu’est consacré le chapitre 16. C’est, en revanche, le déclin de la Grande-Bretagne en matière d’horlogerie, dès la fin du XVIIIe siècle, que raconte le chapitre suivant. Le chapitre 18 offre notamment une tentative d’explication de « la réussite suisse et de l’échec britannique » (p. 400). Landes y affirme que, en Suisse, le protestantisme a pu avoir un effet « sur le niveau intellectuel de la population horlogère » (p. 406). Et il ajoute : « À mon sens, la clé fut […] la contribution du protestantisme à l’apprentissage en lettres et en arithmétique » (p. 406). Quant au chapitre 19, il raconte comment et pourquoi, les USA innovèrent, dès le début du XIXe siècle, en appliquant à l’industrie horlogère « le principe d’uniformité » (p. 413) : ils construisirent des machines outils permettant d’obtenir des pièces semblables, voire interchangeables. Ce fut un grand succès. Le chapitre 20 relate l’évolution de l’industrie horlogère à la fin du XIXe et dans la première moitié du XXe siècles, essentiellement en Suisse et aux USA. Et le dernier chapitre fait le récit de « la révolution du quartz » qui à partir de la fin des années 60 sonna le glas des montres mécaniques (p. 451).

Ce livre est très intéressant et bien documenté mais présente selon moi une lacune : il lui manque une flèche du temps reprenant de façon synoptique, pour les différents pays concernés, la chronologie des événements relatifs à l’invention de l’horloge mécanique et à la naissance et l’évolution de l’industrie horlogère. Ceci est d’autant plus vrai que les informations ne sont pas toujours fournies par Landes dans l’ordre chronologique.

Marie Gevers